Sunday 27 April 2008

Effets du changement climatique : Des enfants pris en otage par les eaux à Ambodiamontana

Les conférences et ateliers internationaux et nationaux sur le changement climatique se multiplient ces deux dernières années à Madagascar. De même, la campagne de sensibilisation sur le droit de l’enfant bat son plein.
Pourtant, il est rare d’entendre parler de conditions des enfants bouleversées par les effets néfastes de la hausse progressive de la température moyenne au niveau mondial.
La menace climatique sur les enfants est réelle à Ambodiamontana, dans la commune rurale de Tanambe Alaotra, à 190 km au nord-ouest d’Antananarivo, la capitale. A longueur d’année, les eaux coupent les enfants de ce village du reste du monde et les congédient des bancs des écoles durant la saison cyclonique, de décembre à avril.
Localisé seulement à 40 km au nord de la ville d’Ambatondrazaka, ce fokontany aux confins de la rive nord du lac Alaotra, la plus grande étendue d’eau continentale à Madagascar (20 000 ha d’eaux libres), baigne éternellement dans les eaux. Les conditions extrêmes dans la localité réservent à ses enfants un avenir morne.
Les 1 256 habitants d’Ambodiamontana vivent dans une pauvreté abjecte. A voir sur le terrain, les enfants y sont très nombreux. Les habitants n’ont que deux moyens de subsistance : la riziculture et la pêche. Ces activités se pratiquent toutefois de façon élémentaire. D’autant que les productions restent tributaires des aléas climatiques.

Des rizières submersibles

En tout et pour tout, le fokontany dispose d’environ 5 000 ha de rizières. Ces périmètres cultivés, en grande partie des marais facilement submersibles, sont vulnérables aux crues périodiques du lac. Entre autres, le passage cyclonique Ivan en février dernier a causé des pertes considérables.
Près de 90 % des rizières sont détruites. Les villageois n’ont pas à espérer de la production rizicole cette année. Les révélations du chef fokontany Heriniaina Rakotoarivony sont des plus étonnantes à ce sujet.
La plupart des villageois sont des paysans sans terre. Las des pertes chroniques qu’ils subissent chaque année, beaucoup préfèrent abandonner la riziculture pour se tourner vers la pêche. Riverain du lac Alaotra, Ambodiamontana aussi est un village des pêcheurs.
La pratique de la pêche y est héritée de père en fils. En moyenne, la prise quotidienne est maigre, limitée à pas plus de 5 kilos de poissons entre février et avril. La période faste couvre seulement le mois de juin.
Après, la baisse du niveau des eaux lacustres, ou la saison d’étiage, d’avril à septembre, caractérisé par une saison fraîche sèche et avec des pluies fines, est préjudiciable aux activités des pêcheurs.

Intense pluviométrie

Ces derniers témoignent du déclin irréversible du lac où leurs aînés réalisaient des prises abondantes. Ces dernières années, il arrive aux pêcheurs d’Ambodiamontana de traverser le lac à gué.
Tellement, l’ensablement est important dans la région Alaotra à cause de l’érosion incurable des montagnes autour du lac, ou la “lavakisation” selon l’appellation géographique.
Les torrents ruinent les montagnes, en majeure partie formées par des massifs latéritiques très friables. Elles sont le siège d’innombrables falaises, à l’origine des sédimentations lacustres.
Il s’agit d’un fait géologique enclenché depuis l’ère tertiaire d’après le professeur Raymond Rakotondrazafy à la faculté des Sciences de l’université d’Antananarivo.

Les eaux transportent des tonnes de terre, en moyenne 500 tonnes par “lavaka” (en forme de falaise) par an, vers les plaines fluvio-lacustres, vastes de 1 800 km² environ. “L’intense pluviométrie observée dans l’Alaotra entre décembre et avril (1 512 mm) relève de la variation climatique due au réchauffement global. Mais elle ne fait qu’aggraver l’ensablement du lac”, renchérit le météorologiste Zo Rabefitia.

Comptes familiaux toujours dans le rouge

Certes, Madagascar compte parmi les 100 pays les plus vulnérables aux effets du changement climatique selon le rapport publié en décembre 2007 par l’Institut international pour l’Environnement et le Développement (IIED, Londres).
En ce qui concerne l’Alaotra, les pluies se répartissent mal durant toute l’année. La saison cyclonique est intensément pluvieuse tandis que dame pluie se fait désirer durant le reste de l’année. Les moindres précipitations suffisent à provoquer des inondations à cause du phénomène d’envasement plus le rapide débordement des eaux du lac.
Certes, Ambodiamontana se situe en aval des bassins versants de l’Alaotra. Les rizières indemnes des aléas climatiques ne nourrissent plus ses habitants. Du coup, la pêche non plus ne constitue pas de manne économique pour compenser le manque. Résultats : les comptes familiaux sont toujours dans le rouge.
“Même si les parents sont prompts à scolariser leurs enfants, ils ont toutes les peines du monde pour s’acquitter du droit d’inscription 3 000 Ar (1 euro vaut 2 605 Ar) lors de la rentrée scolaire”, souligne Jean-Aimé Rakotonisainana, directeur de l’EPP depuis 1994. Il y est en tant que seul instituteur titulaire aux côtés de trois instituteurs “FRAM” (Association des parents d'élèves).
De façon automatique, les enfants non scolarisés, surtout les garçons, sont initiés à la pêche en accompagnant régulièrement les adultes à la chasse. “Quand ils ne sont pas au village, ces enfants ne savent faire qu’une chose : aller dans les marécages pour attraper avec des moyens de fortune les alevins pour en faire leurs mets”, ajoute le directeur.

Loin du développement durable

Mais on est un peu hébété en voyant les quantités de jeunes poissons que les enfants ramènent fièrement chez eux. Ils n’ont aucunement idée de la régénération naturelle des espèces ni du développement durable. Ce n’est pas sans raison que le lac Alaotra a fait en 2003 et en 2004 l’objet d’opérations de rempoissonnement.




Cela étant, on ne peut pas rester indifférent quand on apprend de la bouche même du directeur de l’école et de celle du chef fokontany que l’arrêt net des cours est impératif durant la saison cyclonique à cause de la montée des eaux. Comme si les écoliers étaient des otages.
Les activités scolaires sont pratiquement impossibles durant le 2e trimestre de l’année scolaire, de janvier à mars, à cause des inondations qui atteignent plus de la moitié des habitations, y compris les salles de classe. C’est aussi la période où la fièvre et la diarrhée font des victimes parmi les enfants et élèves.


A juste titre, personne dans le village ne construit de latrines, comme si c’était un interdit ancestral. Chacun fait son besoin en pleine nature, sur des aires proches des marécages. Or, les femmes et les filles puisent de l’eau dans la zone lacustre la plus proche.
En outre, la menace de plus en plus pressante des effets du changement climatique sur les enfants touche le domaine culturel. En effet, le village n’est accessible qu’en pirogues ou à pieds en raison de la présence permanente des eaux aux alentours.

Déplacement éprouvant

Aussi, très peu d’enfants ont-ils eu l’occasion de voir de leurs propres yeux les voitures. Ce sont ceux qui ont pu sortir de leur village pour se rendre dans la ville la plus proche, Tanambe, le chef-lieu de la commune à 11 km au nord. Hélas, les autres n’ont pas cette opportunité.
Le déplacement à Ambodiamontana est réellement très éprouvant. Les boues à piétiner dans les pistes sinueuses n’inspirent qu’abandon pour les non résidents.


Tout instituteur désigné pour renforcer le système éducatif dans le village n’y fait que passer. Chacun fait tout pour pouvoir repartir ailleurs aussitôt qu’il débarque.
Les étrangers de passage dans le coin n’ont aucune envie de s’y éterniser. De fait, les villageois déplorent l’indifférence manifestée par l’Administration à leur égard.
Selon leurs dires, aucun haut responsable, à commencer par le maire de Tanambe, excepté le chef de Zone d’aménagement pédagogique Rakoatoarinosy, n’est jamais venu visiter leur village et constater ainsi sa misère.

Même les gens de la religion chrétienne sont peu convaincues à mener ensemble une existence au sein de la communauté. L’église catholique a tenté de s’implanter en 2004. Mais les dures conditions locales l’ont invitée à décamper.

Conjurer le mauvais sort

Par ailleurs, les croyances traditionnelles restent encore vivaces chez les habitants qui attribuent la source de leur souffrance à l’infidélité des autres à l’égard du sacré ancestral.
Pour eux, la production de gaz à effet de serre liée à l’usage de carburants fossiles, cause principale de l’accentuation du changement climatique, est une histoire à dormir debout.
Certes, Madagascar figure parmi les pays dont l’émission annuelle de gaz à effet de serre par habitant est de 2,2 tonnes contre 19,9 aux Etats-Unis et 8,4 en Europe. En tout cas, les habitants d’Ambodiamontana ont la ferme conviction que le climat est complètement bouleversé de nos jours.
Mais ils ont leur propre manière de conjurer le mauvais sort provoqué par les aléas climatiques. Ils se réunissent une fois par an, au mois d’octobre, à l’occasion du rituel traditionnel “Asarabe”, autour des deux différents autels ancestraux au village. Ils y demandent la pluie en début du calendrier cultural, la protection contre les inondations et les bénédictions des ancêtres.

Connectés au monde entier

Côté administratif, la construction des pistes reliant le village aux localités voisines n’est pas à l’ordre du jour des priorités communales pour bientôt. Le nouveau maire de Tanambe, Félix Rakotoarimanana, a déjà donné son avis à ce sujet.
Le coût onéreux de tout éventuel projet routier est au-delà de la capacité financière de la commune. Le chef de région Alaotra-Mangoro, David Alexandre Robinson, pour sa part, suggère l’évacuation pure et simple de la localité comme seule solution viable. Proposition que les concernés refuseront tout bonnement.
A moins d’être réduits à des réfugiés climatiques, ils veulent se fixer éternellement au village créé par les anciens. Par ailleurs, l’avènement de la nouvelle technologique est à même de supplanter, même en partie, la rupture avec l’extérieur renforcée par les effets du changement climatique.
Le téléphone mobile est déjà présent dans le quotidien d’un petit nombre de familles dans ce village qui baigne en permanence dans les eaux. Ils sont aussi connectés au monde entier malgré tout.


Par Rivonala Razafison, Le Quotidien du 24 avril 2008, p. 19

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