Thursday 25 June 2009

Trouble politique : Un patrimoine mondial « en péril » à Madagascar

Le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco se réunit à Séville Espagne du 22 au 30 juin pour étudier les états de conservation de 178 sites et inscrire de nouveaux biens. Entre autres, les participants auront certainement à examiner le cas de Madagascar lors de cette session.

Si l’explosion du 26 janvier dernier à Antananarivo a viré aux émeutes et aux pillages aussi bien orchestrés que meurtriers, elle l’a été encore plus pour les forêts naturelles. Une véritable loi de la jungle a régné de février à mars à Madagascar. Des bandes armées ont envahi des aires protégées et ont agi à la manière de guérilleros au profit des exploitations illicites des bois précieux.

Elles ont profité du trouble politique pour opérer une razzia un peu partout dans l’île, un hotspot de la biodiversité mondiale. Selon James MacKinnon de Conservation International Madagascar, le taux de déforestation des aires protégées est de 0,13 % par an contre 0,65 % pour les aires non protégées. Mais, en temps de crise, les pillages des forêts sont intenses et incontrôlés.

« Tous les bailleurs et partenaires sont au courant de la destruction abusive de nos forêts », a confié Guy Suzon Ramangason, directeur général de Madagascar National Parks, au cours d’une rencontre privée en avril. « Nous, organismes non gouvernementaux œuvrant pour la conservation des ressources naturelles pour le bien durable des communautés locales, tenons à exprimer notre vive inquiétude face à la dévastation actuelle des ressources naturelles du pays », lit-on dans un communiqué daté du 27 mars.

En effet, l’Unesco, qui a inscrit en juin 2007 six sites naturels à Madagascar sur la Liste du patrimoine mondial, a tiré sur la sonnette d’alarme en publiant, à son tour, un communiqué le 03 avril. L’Union mondiale pour la nature (UICN) lui emboîte les pas cinq jours plus tard. L’organisme a souhaité que la conservation reprendrait comme une priorité pour l’avenir du pays.

« L’ensemble du pays est touché », a signalé Ramenason, directeur régional de l’Environnement, des Forêts et du Tourisme (DREFT) pour la région Alaotra-Mangoro. Son homologue de la région Melaky, dans le centre ouest, Dina Rakotoarisoa, a rapporté avec tristesse des faits avérés dans sa propre circonscription.

« Pour le moment (ndlr : en avril), il est impossible de faire l’évaluation des dégâts nationaux. Mais une chose est sûre. Les préjudices sont extrêmement importants et irrémédiables », selon Herilala Randriamahazo, biologiste marin au sein de Wildlife Conservation Society. Dr. Lyly-Arison René de Roland, directeur national de Peregrine Fund partage cette idée en précisant que l’état zéro de la crise n’est pas encore effectif en ce moment.

Les parcs nationaux de Marojejy et de Masoala, dans le nord, ont constitué le centre névralgique des violations graves dès le début de la crise. Peuplée de forêts pluviales, cette zone géographique est potentiellement riche en bois de rose (D. baronii, D. louveli), une espèce endémique nationale. Cette partie de l’île aussi produisait durant des années la meilleure qualité de vanille dans le monde.

Les deux aires protégées citées plus haut font partie des forêts humides de l’Atsinanana. Elles sont parmi les six sites malgaches inscrits en 2007 sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. A savoir qu’un patrimoine mondial est doté d’une valeur universelle exceptionnelle et répond à certains critères. C’est le cas du Tsingy de Bemaraha et la colline bleue d’Ambohimanga depuis les années 90.

Mais voilà que moins de deux ans seulement après sa reconnaissance, le nouveau patrimoine mondial à Madagascar a été sujet à une volonté destructrice presque haineuse, ravageuse et sans contrôle en dépit des principes de la Convention adoptée le 16 novembre 1972 à Paris par l’Unesco.

La paralysie de l’Administration malgache et l’embarras de ses alliés en février-mars ont aggravé la situation. « Le responsable de la conservation à Marojejy a appelé pour m’informer des infractions commises par des groupes d’hommes armés à l’intérieur du parc. Ils ont proféré des menaces et ont abattu des arbres. C’est triste ce qui se passe chez nous et nous devons en tirer des leçons », a témoigné Dr. Lyly-Arison.

Les gens de bonne volonté ont été réduits à néant en présence de la capacité destructrice des pilleurs. « Les communautés locales, conscientes de la nécessité de préserver ces ressources et qui tentent de s’opposer à ces coupes et trafics sauvages et illégaux, sont menacées de représailles », a noté l’Unesco dans son communiqué.

Depuis 2007, des mesures strictes ont été en application concernant les bois de forêt en général et le bois de rose en particulier à Madagascar. Ainsi est-il formellement interdit d’exporter des bois à l’état brut. Seuls les produits semi travaillés et finis ont été autorisés à franchir les frontières. Les réglementations visent les pratiques frauduleuses à l’exportation.

Le gouvernement malgache a alors confisqué plusieurs milliers de troncs de bois précieux non travaillés d’une valeur de plusieurs millions de dollars aux ports d’Antalaha, Iharana (Vohémar) et Toamasina. Des quantités de bois ont été ramenées à Antananarivo, la capitale, pour y être entreposées et des ventes aux enchères sont prévues à leur sujet. Des appels d’offre internationaux ont même été lancés à cet effet.

Parallèlement, la mise en place depuis 2005 du Bureau indépendant anti-corruption a inhibé des frustrations sporadiques. L’initiative a eu un effet psychologique sur les gens malhonnêtes. Grâce à la lutte contre la corruption, des destructions de la nature auraient pu être évitées au petit bonheur des écologistes.

Mais la crise de 2009, qui a provoqué l’absence temporaire de l’Etat, a réveillé les vieux démons. Les incorrigibles corrupteurs se sont alors servis de l’arrêté interministériel n° 003-2009 du 28 janvier 2009, qui a de nouveau autorisé à titre exceptionnel l’exportation à l’état brut des stocks de bois précieux encore non liquidés, pour justifier leurs actions.

De la sorte, ces gens-là auraient bien pu « rattraper à grande vitesse en si peu de temps les rentes perdues ». « L’arrêté interministériel a été une erreur fatale commise par le gouvernement », a déploré Madagascar National Parks. Certes, des réseaux mafieux vivaient et continuent de vivre du très juteux commerce de bois de rose. L’instabilité politique les a mis dans une position confortable.

Vers mi-mars, près de 175 containers de bois de rose ont quitté le port d’Iharana pour la Chine via l’île Maurice. De source sûre, 150 containers (aux environs de 300 tonnes à raison de 20 tonnes par container) de bois de rose sont exportés chaque semaine à partir de ce port secondaire. En réalité, le cours du bois de rose a explosé ces temps-ci.

Un tronçon de 1 à 2 m qui pèse entre 100 et 200 kilos a coûté 70-140 dollars en 2005. En d’autres mots, le bois précieux est une aubaine pour les paysans victimes de la chute vertigineuse du prix de la vanille. Le kilo a diminué de 230 dollars en 2003 à 25 dollars en 2005. La crise a donc été une opportunité à saisir pour les individus sans scrupules et avides d’argent facile qui emploient des pauvres gens en aval.

« La forêt malgache est en train de partir en Chine à coups de centaines de containers », a-t-on lit sur Sobika.com en avril. La même source a cité que « des exportateurs de bois de la région arrosent à coups de cinquantaine de millions (en monnaie nationale) les Autorités locales et les forces de sécurité en passant par les douaniers ».

En amont, la complicité et la corruption à grande échelle sont l’ennemi potentiel de la biodiversité nationale. « Elles (ndlr : Autorités locales et forces de sécurité) sont toutes corrompues et ferment les yeux sur ces exportations illicites. Le poids déclaré est inférieur au poids réel exporté. Le poids déclaré est de 20 tonnes or le poids effectif est de 30 tonnes », a noté Sobika.com.

Selon Alphonse Maka (cf. La Vérité du 06/06/09), le nombre de containers exportés et déclarés entre 03 février (date du premier envoi) et 28 mars 2009 a été de 346. Néanmoins, 815 containers ont été réellement exportés durant cette période. Soit 469 conteneurs non déclarés représentant près de Ar. 6 milliards ou environ 3 millions de dollars de manque à gagner pour l’Etat, selon les révélations du journaliste.

L’année dernière, la célèbre magistrate franco-norvégienne Eva Joly a énergiquement dénoncé la corruption actionnée par les multinationales qui pompent en toute impunité les ressources naturelles des pays pauvres. Le cas malgache en début 2009 correspond à ses accusations même si aucun exemple n’a été cité. Sans doute, des opérateurs à Madagascar sont en collaboration avec de grosses firmes industrielles basées en Asie.

L’instabilité politique menace de dévaster la faune et la flore endémiques nationales. Erik R. Patel, chercheur à la Cornell University (Etats-Unis), craint fort pour le silky sifaka (Propithecus candidus). Cette espèce de lémurien, « critiquement en danger » selon la liste rouge de l’Union mondiale pour la nature, vit uniquement dans les forêts de bois de rose, elles-mêmes sont « vulnérables » selon la classification.

Des parcs ont dû être fermés momentanément aux touristes à cause de l’insécurité au pays. Du coup, des activités liées au secteur ont cessé de tourner. En conséquence, des habitants se sont rabattus à la biodiversité. Ils ont chassé et mangé des animaux sauvages et ont brûlé les forêts… Là, c’est une preuve de la faible réussite des efforts visant à développer le réflexe environnemental chez les citoyens.

Selon le constat, il est devenu une tradition pour les Malgaches de se retourner contre l’environnement chaque fois qu’une crise se déclenche. « Quoi qu’il advienne, nous ne devons pas agir de la sorte », juge Dr. Jonah Ratsimbazafy, coordinateur scientifique de Durrell Wildlife Conservation Trust.

Madagascar, un sanctuaire de la nature, est en péril. Le pays est en train d’être dépouillé de ses joyaux naturels tant que la crise perdure. Selon le directeur Ramenason, des centaines d’orpailleurs et de chercheurs de pierres précieuses ont envahi les forêts de Zahamena, à l’est d’Ambatondrazaka, un des sites classés patrimoine mondial de l’Unesco en 2007.

« Le corridor Ankeniheny-Zahamena a été pris d’assaut », a confirmé le directeur général Guy Suzon Ramangason. Malgré eux, Ramenason et son équipe ont assisté avec accablement à la triste scène de destruction sauvage des forêts. « La loi est partie avec Marc Ravalomanana », ont brandi les profiteurs contre la moindre tentative de répression dans le cadre légal.

Dans la même foulée, la situation de la bande forestière dans la commune rurale d’Ifito (Toamasina II), à la lisière d’Ankeniheny-Zahamena, a été des plus alarmantes, d’après un mail de Gervais Randrianalison, président de la Plateforme corridor Ankeniheny-Zahamena (PLACAZ).

Les responsables ministériels semblent avoir été pris de court face à l’ampleur du désastre écologique en février-mars. Ils ont été pour la plupart non joignables au téléphone. Ils ont évité de se prononcer sur l’affaire. Ils ont eu raison de se mettre sur la défensive. Ils ont été aussi parmi les plus vulnérables durant le temps fort de la crise.

L’extrême vigilance des uns s’est toutefois doublée de l’irresponsabilité des autres. « Les militaires, gendarmes et policiers sont retenus ailleurs au lieu de traquer les criminels en pleine nature », a clamé un environnementaliste requérant l’anonymat. C’est seulement après la prise du pouvoir le 17 mars par la Haute Autorité de la Transition (HAT) que des campements de la Gendarmerie nationale sont plantés à l’intérieur des parcs dans le nord.

Les agents civils déployés dans la brousse ont quitté leurs postes au moment où la crise a atteint son paroxysme. Ceux de Madagascar National Parks sont tout même restés actifs et ont eu le courage d’affronter seuls les assaillants tels des hordes qui se battent pour la survie.

Selon des confidences, les commanditaires du massacre dans le nord sont identifiés. De sévères sanctions sont envisagées à leur encontre. Des descentes de contrôle ont eu lieu en avril et mai. Mais seuls une cinquantaine de « petits poissons » sont rattrapés et envoyés en prison.

Il paraît impossible de mettre la main sur les vrais acteurs qui seraient protégés par des hautes personnalités. Pas plus tard que le 03 juin dernier, quelque 410 rondins de bois de rose en route pour la capitale de l’artisanat (Ambositra) sont saisis à Ampanotokana Mahitsy. Mais l’identité de leur « vrai » propriétaire n’est jamais révélée malgré la forte médiatisation de l’épisode.

Vendredi 19 juin encore, des membres de la HAT sont montés au créneau pour dénoncer les excès de zèle concernant l’exportation de bois de rose. Les opérateurs sont tenus de payer Ar. 60 millions, soit 22 220 euros, par container s’ils ne doivent s’acquitter uniquement de taxe et de ristourne.

Le ministre de l’Environnement des Forêts de la HAT, Mariot Rakotovao, est le « percepteur principal » de cette « surtaxe » imposée aux opérateurs, selon Thomas Tsimiondra, qui n’a fait ni une ni deux pour prononcer son nom devant la presse. Le gouvernement de Monja Roindefo devrait fournir des explications à ce sujet.

Dès son accession au pouvoir en 2002, Marc Ravalomanana a multiplié les décisions en faveur de la biodiversité malgache. Moins de deux ans après sa reconduction le 03 décembre 2006, l’Armée a soutenu l’ancien DJ Andry Rajoelina, alors 34 ans, pour pousser le Président élu à la porte de sortie. Depuis son départ, le Président déchu est accusé, lui aussi, de trafic de bois précieux par ses « chasseurs ».

Les Malgaches sont loin de prêter attention aux enjeux majeurs de la déforestation dans l’état actuel des changements climatiques et aux services écologiques rendus par les forêts naturelles à l’Humanité ainsi qu’aux générations futures. Par le phénomène de photosynthèse, les arbres captent et séquestrent les C02 libérés dans l’atmosphère et en diminuent ainsi le volume.

Le monde entier cherche aujourd’hui les moyens pour atténuer les impacts du réchauffement global de la planète. La protection des forêts tropicales occupe une place prépondérante dans le processus mondial de lutte contre les changements climatiques. En revanche, l’on prend le plaisir de détruire le peu qui reste à Madagascar. Seuls quelque 9,5 millions d’hectares des forêts originelles existent dans l’île aujourd’hui. Tout a disparu et les crises récurrentes ne font qu’alourdir le bilan.

Une étude d’évaluation scientifique devrait être effectuée afin de déterminer l’inscription ou non des sites malgaches saccagés durant la crise de 2009 sur la liste du « patrimoine mondial en péril » aux côtés des parcs nationaux en Afrique (http://whc.unesco.org/fr/peril).

De l’avis du Dr. Lyly-Arison, il est souhaitable de remonter à 1975 comme temps 0 pour avoir des données sans biais s’il s’avère indispensable d’évaluer les pertes de la biodiversité au niveau national. D’après lui, c’est l’année où les Malgaches ont commencé à participer de manière active à la gestion de l’environnement à Madagascar. Les étrangers ont eu encore tout en main de 1972 à 1974.

Par ailleurs, l’évaluation doit nécessairement passer par deux étapes : de 1975 à 1990 et de 1990 à 2009. Si la première période a vu la création de nouvelles aires protégées avec la participation effective des Malgaches, la deuxième se singularise par la création de l’Association nationale de gestion des aires protégées devenue Madagascar National Parks en 2008.

A noter que des aires protégées étaient créées avant l’indépendance de 1960. C’est le cas, par exemple, du parc de la Montagne d’Ambre, dans la partie septentrionale de l’île, dès 1958. Également, beaucoup d’autres sites étaient classés “réserve naturelle intégrale” (RNI) bien avant 1975.

« Beaucoup de recherches doivent être menées mais les Autorités nous empêchent toujours de dire les vérités », s’indigne un chercheur.

Encadré :
Vendredi 26 juin, le Comité du patrimoine mondial en réunion à Séville a décidé l’inscription de deux nouveaux sites sur la Liste du patrimoine mondial. Il s’agit de Wadden Sea de la zone costale d’Allemagne et de Nederland et des montagnes de Dolomites en Italie. Par contre, le même Comité a statué jeudi 25 juin sur le retrait de Dresde, un patrimoine mondial en Allemagne, de la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco. « Chaque fois que nous échouons dans la protection d’un site, nous partageons la peine que cela représente pour l’Etat partie », a déclaré María Jesús San Segundo, ambassadrice, déléguée permanente de l’Espagne auprès de l’Unesco, qui préside la 33e session du Comité du patrimoine mondial réuni à Séville.

* L’article initial a été rédigé en avril 2009 mais une mise à jour s’impose après.

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