Wednesday 1 October 2008

Dégradation du système récifal de Toliara : Quand un trésor précieux déploie des armes fatales

Plus de 60 % des espèces de poissons vivant aux récifs barrières de Toliara sont disparues en cette Année internationale des récifs coralliens de 2008.

En mars dernier, les villes de Toliara et de Fianarantsoa ont connu des épisodes notifiés d’intoxications alimentaires par animaux marins. Début mars, 2 personnes sont décédées et 24 autres hospitalisées à Toliara. Deux semaines plus tard, 4 individus à Ivoamba Fianarantsoa ont trouvé la mort et 21 autres ont été admis à l'hôpital.
Même si les analyses médicales expliquant ces drames n’ont pas été rendues publiques, la cause invoquée a été la suivante : le fait d’avoir mangé des espèces de poissons censées provenir des récifs barrières de Toliara. Le nom du « geba », sardines et sardinelles appartenant à la famille de Clupeidae, a été toujours évoqué.
L’arrêté provincial n° 254 du 10 décembre 1965 interdit la pêche, le transport, la mise en vente et la consommation des poissons de mer de la famille des Clupeides dans l’ensemble de l’ex province autonome entre 01 novembre et 31 mars de chaque année, une période correspondant à la floraison des algues microscopiques toxiques.
En clair, d’autres espèces à risques telles que les murènes, les requins marteaux, les perroquets (Scarides) existent, selon Dr Edaly, directeur régional du Développement rural d’Atsimo Andrefana, ancien lauréat de Hull International Fisheries Institute en Grande Bretagne.
Des épisodes d’intoxications collectives graves remontent à 1930, selon l’Etude CAP (connaissance – attitude – pratique) sur les intoxications par consommation d’animaux marins sur le littoral sud-ouest de Madagascar, laquelle étude ayant été réalisée du 8 juin au 10 juillet 1996.
Selon les résultats d’enquêtes, 97 % des personnes interrogées déclarent être au courant du risque d’intoxication. Les poissons sont le plus cités comme dangereux, d’après 96 % des habitants sondés. En d’autres mots, le danger auquel sont exposés les occupants de ce littoral sont d’ordre écosystémique.
Selon Jean Turquet de l’Agence pour la recherche et la valorisation marines (La Réunion), les incidents enregistrés à Toliara et à Fianarantsoa en mars dernier sont a priori liés au clupéotoxisme. Il s’agit d’intoxication par des sardines ayant ingéré des microalgues toxiques. Mais une enquête épidémiologique spécifique a été effectuée pour le confirmer ou non.
Jean Turquet est l’auteur d’une thèse intitulée « Etude écologique et toxicologique des dinophycées benthiques (algues marines) inféodées aux intoxications alimentaires dans le Sud-Ouest de l’Océan Indien », soutenue en 1997 à l’Université de Paris VII. Ces unicellulaires synthétisent les toxines responsables des intoxications par animaux marins.
En 2002, Rafalimanana Rasoanandrasana, alors étudiante en 3e cycle à l’Institut halieutique et des Sciences marines de Toliara ou IH.SM, a emboîté les pas à ce Français en présentant un travail de recherche sur l’inventaire des dinophycées benthiques potentiellement toxiques du Grand Récif de Toliara, 18 km de long et 1,5 km de largeur, situé à 3 km au large de la ville.
Les microalgues poussent les premières sur les branches des coraux morts, puis les microalgues, toutes épiphytes ou parasitaires. Plus d’une trentaine de variétés sont identifiées, toujours selon la Malgache. « L’apparition des algues, de couleur brune, est un indicateur de la dégradation du système récifal, pourtant berceau de la biodiversité marine » a-t-elle ajouté.
En ce moment, les récifs de Toliara subit une détérioration avancée. Aujourd’hui, 25 minutes sont largement suffisantes pour traverser le Grand Récif de l’est à l’ouest (1,5 km), d’après Bemahafaly Randriamanantsoa, responsable du Programme marin au sein de la World Conservation Society, spécialiste de la morphologie des récifs, lui aussi ancien étudiant de l’IH.SM.
Toutefois, dans les années 70, il a fallu plus d’une heure pour traverser la même distance à cause de la complexité de la structure récifale encore plus ou moins intacte. La complexité de l’architecture récifale de jadis n’a permis qu’une avancée prudente sur la levée dendritique, la partie émergée du récif barrière.
En réalité, les récifs sont des structures sous-marines construites par les coraux, lesquels étant des animaux invertébrés marins. Ils vivent en symbiose avec des algues et constituent le squelette calcaire des coraux.
Ces structures coralliennes servent d’abris à des milliers d’espèces qui forment la communauté corallienne. Mais l’ensemble est vulnérable à des menaces variées.
Pour le cas de Toliara, les activités humaines détruisent le milieu récifal. La pêche traditionnelle excessive est pointée du doigt la première. Les techniques et méthodes utilisées (filet senne, pêche par empoisonnement pour paralyser les poissons) sont dévastatrices.
Les pêcheurs collectent les poulpes, les oursins, le coquillage… en piétinant les coraux. Des habitants aussi viennent sur la barrière récifale pour prélever des blocs de coraux morts pour des travaux de construction, défigurant ainsi l’architecture du récif.
En 1996, les pêcheurs ont détruit 22 à 36 % du platier, ce qui a fait dire en 1998 à Pierre Vasseur de l’Université de Provence, que plus de 140 000 pêcheurs/an marchent sur le récif barrière pour les 18 km de long du Grand Récif.
Bemahafaly rappelle que les pêcheurs déplacent et retournent plusieurs fois les blocs de coraux. Un individu mobilise 30 à 40 blocs durant la période de pêche. Or des milliers d’organismes sensibles aux rayons solaires accompagnent toujours un bloc.
Ceux-ci sont des nutriments essentiels. Les micro-organismes assurent le renouvellement des stocks naturels et quand ils sont morts, des organismes opportunistes (dinoflagellés) se développement à leur place.
En général, la sédimentation terrigène tue inexorablement les coraux. C’est le résultat de l’érosion (en tant qu’activité naturelle mais amplifiée) des bassins versants des fleuves d’Onilahy et Fiherenena par usage des brûlis et la disparition du couvert forestier.
« Madagascar, l’île rouge, perd tellement de sols provenant de l’érosion (jusqu’à 400 t/ha/an) que ses rivières deviennent rouge sang, entachant l’Océan Indien qui l’entoure », a souligné professeur Joël Rajaobelison de l’INSTN à l’occasion des Journées nucléaires des 14 et 15 juin 2007.
« Il semble que Madagascar, en perdant son sang, soit en train de mourir », a ajouté ce scientifique. Certes, les éleveurs transhumants de la région de Toliara brûlent à tout va les collines pour leur bétail. Parallèlement, la dépendance des habitants aux ressources naturelles reste élevée.
Bemahafaly explique le mécanisme provoquant la mort des coraux par la sédimentation. « Les sédiments empêchent la lumière naturelle, essentielle à la photosynthèse, de parvenir aux organismes qui font vivres les coraux. En même temps, les alluvions favorisent la croissance des macroalgues en transportant des éléments nutritifs pour elles ».
Le développement du tourisme, les pollutions urbaines, l’industrialisation, l’agriculture par l’usage des intrants… dégradent également le milieu récifal. A Toliara, la lutte anti-acridienne date de longtemps. Malgré tout, le Centre national antiacridien avance l’absence des impacts négatifs des milliers de litres d’insecticides sur les récifs. En tout cas, un usage intensif des engrais et d’autres intrants est maintenant encouragé dans le cadre de la mise en œuvre de la révolution verte durable à Madagascar.
Par ailleurs, le contexte de changements climatiques est défavorable aux coraux, qui sont des invertébrés pouvant vivre seulement à une température variant entre 18°C et 25/27°C. Par conséquent, le réchauffement des eaux de la mer est fatal pour eux tout comme l’est le refroidissement des eaux douces à l’embouchure, déjà à faible dose de salinité.
On dit que le récif corallien est le dépositaire et le creuset de la plus grande biodiversité marine, au même titre que la forêt équatoriale l’est pour la biodiversité terrestre. Plus de 25% des espèces marines y vivent. Sa dégradation entraîne alors une perte de la vie marine abondante et l’écroulement des activités socioéconomiques qui dépendent d’elle.
Les travaux réalisés sur le Grand Récif et dans le lagon de Toliara avant 1972 ont permis d’identifier plus de 6 000 espèces animales et végétales et d’analyser une quarantaine de communautés récifales. Selon les estimations de Bemahafaly, 60 % de ces éléments naturels ne s’y trouvent plus en 2002. Néanmoins, on ne savait pas encore l’importance écologique de certains d’entre eux.
Partant, des espèces jadis non exploitées ne le sont plus aujourd’hui. Preuve évidente de la perte progressive de la biodiversité récifale. La diminution du nombre de poissons carnivores au profit des herbivores est constatée. Ces derniers mangent les macroalgues, et les microalgues épiphytes avec.
Dévorés par les prédateurs restants, les herbivores conservent les toxines (non destructibles par la chaleur) contenues dans les microalgues. En mangeant les sardines, les sardinelles et les autres espèces à risques, les humains s’intoxiquent eux-mêmes.
Les toxines s’accumulent dans le corps humain et déclenchent de terribles malaises psychosomatiques. Une implacable guerre chimique vient donc d’être déclarée à l’intérieur de l’organisme humain par l’intermédiaire des êtres dépendant du milieu corallien.
En somme, les récifs, un trésor précieux (cf. photo : Conservation International) mais peu connu et peu respecté, ont le temps pour déployer des armes fatales contre les hommes. La perte de la biodiversité est toujours nuisible à la vie de ces derniers.

Publié par Rivonala Razafison dans le journal Le Quotidien du 30/09/2008, p. 22

2 comments:

Anastácio Soberbo said...

Olá, goût très du Blogue.
Excuse ne pas écrire plus, mais mon français n'est pas bon.
Une accolade depuis le Portugal

Rivonala Razafison said...

Hi,
Many thanks for your comment. You can leave a message in English or write directly to me at "r_rivonala@yahoo.fr".
Best regards